Salut à tous, aujourd’hui on se retrouve pour parler d’un nouvel article scientifique (Zhang M., Liu X., Zhang R. et al., 2024. Biomechanical effects of functional clear aligners on the stomatognathic system in teens with class II malocclusion: a new model through finite element analysis. BMC Oral Health, 24:1313.) qui s’intéresse à l’effet comparatif des aligneurs fonctionnels transparents (FCA) versus les élastiques de Classe II associés à des aligneurs, sur la croissance mandibulaire et le système musculaire et articulaire temporo-mandibulaire (ATM).
La question du choix d’appareillage dans les Classe II à composante mandibulaire reste une problématique clinique centrale. Ce travail de modélisation 3D avancée en analyse par éléments finis (FEA) offre des données inédites sur les forces musculaires, les déplacements mandibulaires et les zones de contrainte au niveau de l’ATM, selon l’approche thérapeutique choisie. Une lecture très interessante pour affiner notre stratégie interceptive.
📘 De quoi parle cette article ?
Objectifs de l’étude
L’objectif principal est de comparer les effets biomécaniques entre :
- Modèle 1 : un aligneur fonctionnel transparent (FCA)
- Modèle 2 : un aligneur classique associé à des élastiques de Classe II
Cela à travers une simulation de la dynamique mandibulaire en deux phases :
- Phase de mise en place (0–0.1s)
- Phase de rétention (0.1–100s)

(Modèle 2) simule l’utilisation d’un aligneur transparent combiné à des élastiques de Classe II. Les élastiques sont ancrés à leurs deux extrémités à l’aide d’un bouton et d’une découpe de précision (precision cut). Le bouton est placé en vestibulaire de la première molaire mandibulaire, et la découpe de précision en vestibulaire de la canine maxillaire.
FCA : Functional Clear Aligner (aligneur fonctionnel transparent).
Méthodologie
- Étude FEA 3D basée sur l’imagerie CBCT et IRM d’un adolescent de 12 ans en Classe II squelettique (ANB = 7°, overjet = 8 mm).
- Modélisation musculaire précise (masséter, temporal, ptérygoïdiens médial et latéral).
- Segmentation de l’ATM : condyle, disque, fosse glénoïde.
- Comparaison des forces musculaires, des déplacements mandibulaires et des contraintes sur l’ATM.
Modèles testés
- FCA : double plans occlusaux intégrés à l’aligneur (70°), simulation de verrouillage mécanique.
- Élastiques Classe II : bouton sur 1re molaire inférieure, cut-out sur canine supérieure ; force de 150 g simulée par ressort.
Résultats détaillés
1. Forces musculaires
- FCA génère des forces masticatoires plus fortes et plus coordonnées (jusqu’à 15× supérieures pour certains faisceaux du temporal postérieur).
- Modèle FCA : contractions synchrones (force de traction homogène) → meilleure efficacité neuromusculaire (?).
- Modèle Élastiques : forces asynchrones et antagonistes entre les faisceaux → déséquilibres moteurs (?).
2. Déplacement mandibulaire
- FCA : déplacement mandibulaire orienté vers l’avant et le bas, rotation horaire du menton.
- Élastiques : mouvement plutôt vers l’avant et le haut, rotation antihoraire → bénéfique chez hyperdivergents.
3. Contraintes sur l’ATM
- FCA génère des contraintes plus élevées sur le disque, le condyle et la fosse glénoïde :
- Stress sur disque ×11 par rapport au modèle Élastiques.
- Stimulation mécanique dans les zones postérieures → environnement favorable à l’ostéogenèse condylienne.
- Relaxation progressive des contraintes grâce à la viscoélasticité du disque.
4. Répartition du stress
- Stress majoritairement postérieur avec FCA (favorable à la croissance).
- Stress plus diffus ou antérieur avec les élastiques (effet orthodontique plus dentaire que squelettique).
5. Risques identifiés
Élastiques : effet plus stable post-traitement pour maintenir la position mandibulaire obtenue.
Aligneurs fonctionnels : risque de protrusion des incisives inférieures et surcharge osseuse si corticale fine.

(B) La reconstitution détaillée de l’anatomie de la région de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) ;
(C) Muscle ptérygoïdien médial (violet) ;
(D) Muscle masséter (vert), muscle temporal (orange), muscle ptérygoïdien latéral (bleu).
✅ Qu’est-ce qu’il faut retenir ?
🔹 Le design de l’appareil détermine la direction, l’amplitude et la qualité du mouvement mandibulaire, avec des implications cliniques majeures.
🔹 Les aligneurs fonctionnels transparents génèrent des forces musculaires plus importantes et mieux coordonnées que les élastiques de Classe II.
🔹 Les aligneurs fonctionnels stimulent davantage la croissance condylienne, grâce à une contrainte plus localisée et intense sur la zone postérieure du condyle et de la fosse glénoïde.
🔹 Les élastiques de Classe II produisent un déplacement mandibulaire plus modéré, orienté vers le haut et l’avant, mieux toléré chez les hyperdivergents.
🔹 Le disque articulaire joue un rôle crucial d’amortisseur, limitant les contraintes prolongées et favorisant l’adaptation tissulaire.
🛠 Comment le mettre en œuvre ?
1. Choisir le bon outil selon le type facial
- FCA recommandé chez les patients Classe II hypodivergents, musculature développée → meilleure réponse squelettique.
- Élastiques Classe II préférables chez les hyperdivergents → direction du mouvement plus favorable, meilleur contrôle vertical.
2. Surveillance des incisives inférieures
- Avec FCA, anticiper le risque de vestibuloversion et de fenestration → renfort par mini-vis ou design d’aligneur modifié (zone vide antérieure).
3. Combinaison séquentielle recommandée
- FCA en phase active → élastiques en phase de stabilisation pour renforcer l’équilibre musculaire et maintenir les résultats.
4. Adapter le design des aligneurs
Plan occlusal incliné, pads intégrés, verrouillage mécanique → optimiser les contacts et la direction des forces pour un effet orthopédique maximal.
Avis personnel
Cette étude offre une contribution intéressante à notre compréhension biomécanique des stratégies de correction des Classe II chez l’adolescent. Voici les points qui ont retenu mon attention, accompagnés de réflexions cliniques et personnelles :
🔄 Le déplacement mandibulaire observé dans le modèle avec élastiques est plus intéressant
Bien que les forces musculaires soient plus importantes et coordonnées dans le modèle FCA, le modèle avec élastiques de Classe II montre une rotation antérieure de la mandibule, c’est-à-dire un mouvement vers le haut et vers l’avant. Ce type de déplacement est souvent plus favorable dans le traitement des Classe II à composante squelettique car il permet une meilleure avancée mandibulaire, en effet la rotation antérieure est associé à une avancée mandibulaire. Cette rotation antihoraire du plan mandibulaire est classiquement recherchée pour limiter le besoin de compensation alvéolo dentaire dans les traitements de classe II.
🔺 Privilégier les élastiques dans les cas hyperdivergents
Chez les patients hyperdivergents, tout mouvement de la mandibule vers le bas (comme induit par les FCA) peut accentuer la convexité faciale, l’ouverture du plan mandibulaire et l’aggravation de la classe II. Or, l’étude montre que les élastiques de Classe II induisent un mouvement vers l’avant et le haut, ce qui est beaucoup plus adapté au contrôle vertical dans ces cas. C’est donc une indication thérapeutique importante : dans les schémas squelettiques verticaux, les élastiques sont à privilégier pour leur capacité à limiter l’aggravation du schéma de croissance hyperdivergent.
🦷 Les gouttières fonctionnelles génèrent plus de compensations dento-alvéolaires
Un point d’attention majeur soulevé par l’étude est la vestibuloversion plus marquée des incisives mandibulaires avec les FCA, en lien avec la direction des forces et la pression appliquée au niveau antérieur. Cette compensation alvéolaire, si elle n’est pas maîtrisée, peut :
- réduire l’angle inter-incisif, ce qui diminue la stabilité post-traitement,
- compromettre le parodonte des incisives inférieures, en particulier chez les patients à biotype fin ou à corticales vestibulaires fragiles.
En pratique, cela souligne la nécessité d’un contrôle rigoureux du torque incisif inférieur, et éventuellement d’associer des auxiliaires comme des mini-vis pour limiter ces effets.
💪 Complexité de l’interprétation des réponses musculaires
L’activation différentielle des muscles (étirement ou contraction) observée dans l’étude est fascinante, mais son interprétation clinique reste complexe. En effet, le système musculaire crânio-facial fonctionne en synergie dynamique, et il est difficile de conclure si une activation isolée d’un faisceau donné est réellement bénéfique pour un repositionnement mandibulaire stable. Les effets à court terme observés dans une modélisation ne traduisent pas forcément une amélioration fonctionnelle à long terme. Il serait nécessaire de coupler ces analyses avec des enregistrements électromyographiques et un suivi longitudinal pour valider ces observations.
🧲 Les aligneurs fonctionnels : un avantage en termes de coopération et de praticité
Un atout non négligeable des FCA est leur intégration complète dans la gouttière, évitant ainsi les problèmes fréquents liés au décollement des boutons, à la déformation des cut-outs ou à la non-coopération du patient. Cela en fait une option plus simple à gérer au quotidien, avec une meilleure acceptabilité pour certains profils de patients jeunes, notamment ceux peu enclins à gérer l’élastique au quotidien. Néanmoins, cela ne doit pas occulter les effets secondaires dentaires évoqués précédemment.
📚 Cette étude confirme des observations cliniques de long terme
Les conclusions de cette recherche font écho à l’étude de Nelson et al. (2007), qui comparait sur le long terme les corrections de Classe II par élastiques et appareils fonctionnels fixes type Herbst. Les auteurs y concluaient que les effets initiaux favorables des appareils fonctionnels n’étaient pas toujours maintenus à long terme, notamment en raison des modifications de croissance différée et des facteurs de stabilité. Ce parallèle renforce l’idée que l’impact initial biomécanique doit toujours être interprété dans une perspective de longévité et de stabilité occlusale.
En résumé, cette étude met en évidence que le choix entre FCA et élastiques ne peut être standardisé : il doit être personnalisé selon le type squelettique, le profil musculaire, les risques parodontaux et la capacité de coopération du patient. Le jugement clinique reste fondamental, non seulement pour interpréter les résultats d’une telle modélisation, mais surtout pour les intégrer intelligemment dans une planification thérapeutique cohérente, prédictible… et stable dans le temps.
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Dr Daniel Bouhnik